Alors que la préparation physique au sens large fait partie intégrante de l’entraînement de très nombreuses spécialités sportives, en trail, on rechigne un peu à s’y mettre vraiment et à fréquenter les salles de musculation. Pourtant, si les exercices sont bien adaptés et réalisés, le traileur a tout à gagner au niveau de l’amélioration du coût énergétique de sa foulée et encore plus au niveau de la prévention des blessures de tous ordres !

1 – LA MUSCULATION, AVANTAGES ET INCONVéNIENTS

Quelles sont les charges avancées par les esprits chafouins qui résistent à la pratique de la musculation ?

1-1 : La conséquence la plus redoutée est liée à l’hypertrophie, à la prise de masse musculaire : on est bien d’accord que quelques kilos supplémentaires à porter et quelques cellules de plus à nourrir ne sont pas dans l’intérêt du coureur de fond.
Pour autant, il n’existe pas UNE seule musculation, mais au contraire tout un panel de modalités de travail : des adaptées aux bodybuilders et d’autres aux coureurs !
Donc attention aux contenus de vos séances : dans la recherche d’hypertrophie on est plutôt sur des séries de 8 à 12 répétitions, avec des charges moyennement élevées, réalisées à vitesse lente à modérée, et avec un total important de séries.
Donc, plutôt à l’inverse, le traileur travaillera selon des modalités opposées : soit sur des exercices plutôt lourds avec peu de répétitions (mais il faut avoir appris le placement, la technique de chaque exercice d’abord lentement, avec des charges assez légères) soit sur des exercices au poids du corps ou avec de faibles charges (élastiques, médecine ball…) et réalisés plutôt vite, en explosivité.

- et puis, attention aux effets de mode ! le cross fit par exemple c’est parfait si vous voulez avoir des épaules et un dos de déménageur, si vous voulez vous reconvertir dans le déblayage des sentiers à la hachette et le transport des palettes des ravitos à la force de vos biceps. Sinon, on a autre chose à vous proposer !

1-2 : L’autre problématique que soulève la musculation c’est la question du transfert du gain de force, de la salle aux sentiers ? Effectivement soulever des barres de plus en plus lourdes n’est pas une finalité en soi (sauf si l’on est haltérophile !). Cela n’a de sens pour nous que si l’on constate de réelles retombées positives sur les chemins. Or, comme toute qualité, la force musculaire peut être très spécifique. Dans ce domaine aussi, attention aux modalités de pratique : c’est pour cela que l’on préconisera plutôt des exercices globaux (comme les familles des squats, des fentes, des mouvements d’altéro) et non guidés par une machine. Ces types d’exercices sont très riches et permettent de travailler la coordination intra et inter train, la stabilité, la proprioception, la transmission des forces… autant de qualités dont on est friand en trail. À contrario, les exercices « classiques », guidés par les machines et autres bancs de musculation (comme les fameux « legs extension ») ne sollicitent vraiment qu’un seul groupe musculaire, sont très analytiques, et ce type de pratique très ciblée est assez éloignée de nos besoins.

2 – UNE MUSCULATION INDIVIDUALISée ET ADAPTée à CHAQUE PROFIL DE COUREURS

La performance en endurance est corrélée à 3 facteurs : le VO2 max, le pourcentage de VO2 max que l’on est capable de maintenir tout au long de l’épreuve et l’économie de course.

En augmentant la force musculaire, on va améliorer le coût énergétique de la foulée grâce à un temps de contact au sol plus bref. Ce gain est une réelle plus-value pour les routards qui vont voir ainsi leur économie de course améliorée. C’est parfait pour la route et les distances plus courtes jusqu’au marathon.

Quant aux traileurs, et à fortiori aux ultra-traileurs, ils ne vont pas forcément chercher une foulée la plus économique possible mais surtout une foulée la moins traumatisante et délétère possible. Les bénéfices de la musculation vont se situer à d’autres niveaux.

2-1 : un peu de gain de puissance en côte : pour rappel la puissance c’est le produit de la force et de la vitesse. Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, ce n’est pas parce que l’on a développé de bonnes cuisses très fortes sous une barre de squat que l’on va pouvoir les mobiliser très vite sur une pente. Donc pour un transfert efficace, ce sera intéressant de coupler la muscu avec un entrainement spécifique en côte pour progresser dans ce domaine.

2-2 : beaucoup de résistance à la fatigue et à la casse en descente

- La musculation va permettre de se préparer aux contractions excentriques : pour rappel, lors d’une contraction excentrique, les muscles se contractent en s’étirant, c’est le cas pour les quadriceps lors des descentes. Ce type de contraction est moins sollicitant au niveau métabolique mais engendre de fortes contraintes mécaniques sur les structures musculo-tendineuses. Sans préparation spécifique, ce sont courbatures, pertes de force musculaire, phénomènes inflammatoires tendineux… qui vous attentent après une sortie avec un fort dénivelé négatif ! Rien ne remplacera les entraînements spécifiques sur le terrain (on en revient toujours au transfert des qualités), mais la musculation justement en « excentrique » (« en freinant les mouvements» : je descends lentement sur un squat et je remonte en explosivité par exemple) peut vous aider à limiter la casse.
L’entrainement excentrique entraine un mécanisme d’adaptation appelé “repeated bout effect” (ou effet protecteur) qui agit au niveau nerveux et sur l’organisation des fibres musculaires et tendineuses, ainsi les conséquences engendrées par la répétition d’un effort excentrique subséquent seront moindres.

- Elle va aussi permettre de se forger des quadriceps forts pour protéger le genou : ces muscles contribuent fortement à la stabilité du genou archi sollicité en trail. Avoir des quadriceps forts, c’est diminuer d’autant le risque de blessures ostéoarticulaires. Même chose pour les articulations des chevilles et des hanches : si les muscles qui entourent ces articulations sont efficaces, ces dernières n’en seront que mieux protégées.
La musculation permet d’enrayer un cercle vicieux : moins on est fort, plus vite va s’installer la fatigue musculaire liée à la grande répétition des impacts au sol (et la sévérité de ces impacts est fortement accrue en descente). Et plus vite cette fatigue va tendre à réduire les capacités d’atténuation du choc et des vibrations par les muscles. Cette incapacité va accélérer d’autant le risque de blessure.

2-3 : et pas mal de stabilité et d’équilibre :

- Des exercices en situations instables vont vous permettent d’être à l’inverse plus équilibré sur les sentiers les plus tortueux ! En effet, les organes proprioceptifs renseignent sur la position du corps dans l’espace de façon consciente mais sont aussi à l’origine de boucles réflexes permettant de rectifier sans cesse la position des membres par des mécanismes de rétroaction : aspect particulièrement important dans la prévention des chutes et des entorses. Ce mécanisme est tout à fait entraînable bien au chaud dans une salle grâce aux exercices d’équilibre, de proprioception, de reprogrammation en utilisant des surfaces instables, en créant de l’incertitude temporelle (interaction avec un partenaire), en diminuant la prise de repères (yeux fermés par exemple).

- La musculation permet aussi un rééquilibrage musculaire général pour éviter les blessures : travaillez les groupes musculaires agonistes/antagonistes : rien ne sert d’avoir de superbes quadriceps si derrière les ischios crient famine et sont au bord de la rupture !
Et puis, on n’oubliera pas le haut du corps : pour transmettre les forces, pour supporter la station debout, pour résister aux déformations (liées aux secousses du terrain par exemple), pour porter un sac, utiliser des bâtons… de longues heures durant, il faudra mettre au programme un bon renforcement de la ceinture abdo-lombaire et de tout le haut du corps. Vive les exercices de gainage !

3 - LES EXERCICES

Voici maintenant plusieurs catégories d’exercices :

• du léger :

- tous les exercices « classiques » de gainage/abdos/lombaires. Pour complexifier les exercices, pensez à aller vers de moins en moins d’appuis et de plus en plus d’instabilité. Exemple : à partir de la position de base en 4 appuis : 2 genoux, 2 mains. On commence par supprimer 2 appuis opposés, puis des appuis genoux on passe sur appuis jambes tendues, ensuite, de appuis sur sol stable à plat on passe à appuis sur des coussins d’instabilité et enfin on passe d’une position statique à un exercice dynamique en réalisant des flexions coude vers genou.
Pas mal d’exercices peuvent être ainsi déclinés.

- les exercices de gammes pour travailler les qualités de pied, toutes les formes de bondissement, de pliométrie… Là aussi, c’est intéressant de varier les circuits pour aller progressivement vers plus de hauteur, de coordination, de travail unipodal… par exemple : bondissement 2 pieds au-dessus de petites haies puis sur des haies de plus en plus hautes, idem bondissement sur 1 seul pied, bondissement en latéral sur 2 pieds ou 1 pied, bondissement sur une caisse de plus en plus haute…

• du lourd :

On change de registre ! Autant les premières catégories d’exercices peuvent être assez facilement réalisées à la maison ou sur le lieu d’entraînement, autant ces exercices avec charges lourdes nécessitent du matériel adapté et un accompagnement compétent qui pourra vous guider dans l’apprentissage au départ des exercices et ensuite dans la réalisation des séries. On retrouve les familles :

- des squats (sur 2 jambes, sur un pied, sur surface instable…)

- des fentes (avant, arrière, sautées, qui finissent en montée de marche, sur surface instable…)

- des mouvements d’haltérophilie, arraché, épaulés jetés et toutes les déclinaisons de travail

• du spécifique sur le terrain :

Si vous n’avez pas le temps, pas l’envie de vous enfermer dans une salle, vous pouvez corser un peu vos séances et inventez pas mal d’exercices suivant votre environnement :

- en ajoutant du poids, en partant avec un sac à dos chargé sur des séances longues mais aussi sur du travail fractionné court en côte

- en utilisant le principe de pré fatigue : par exemple 10 squat jump (ou 10 fentes sautées ou 30’’ de chaise) + 45’’ de montée à bloc + 1’ de descente rapide et de récupération, répétez à l’envi !

- les marches d’escaliers permettent également pas mal de variété : saut 2 pieds, 1 pied, une marche, 2 marches, montées de genoux… dans le sens de la montée mais également de la descente !

Dans tous les cas :

- La musculation n’est pas une fin en soi, si vous n’avez pas beaucoup de temps, il faut privilégier les séances de course, la musculation doit être un moyen de progresser, de prévenir les blessures, pas une finalité !

- Allez-y progressivement ! Si vous ne voulez pas que vos séances soient contre productives, respectez les phases d’apprentissage, montez progressivement dans les charges et variez les exercices

Article par Maria SEMERJIAN Professeure agrégée EPS  et Ultra traileuse élite