Le nom « gluten », mot latin pour « colle », regroupe un ensemble de protéines présentes à l’état naturel dans le grain de nombreuses céréales. La domestication d’espèces céréalières sauvages en espèces cultivées, il y a environ 10 000 ans en Mésopotamie, a fait émerger le concept d’agriculture. Ainsi, les céréales ont pris une place majeure dans le régime alimentaire humain.
L’essor de cette nouvelle source d’alimentation remonte à seulement 400 à 500 générations, ce qui est faible pour adapter parfaitement l’organisme et particulièrement le tube digestif à la grande variété de nutriments, d’antigènes et de toxiques potentiellement présents dans les céréales. Ainsi, depuis les années 1950, le corps médical a pu identifier des troubles liés à la consommation de céréales, incriminant entre autres le gluten, présent à forte concentration dans le blé. Les principaux troubles liés au gluten sont l’allergie au blé, dont les mécanismes sont très connus et la maladie cœliaque, qui est une entéropathie auto-immune dont l’impact sur la qualité de vie est important de par son tableau clinique et ses possibles complications. Le régime sans gluten strict est à l’heure actuelle le seul traitement recommandé et efficace dans le cadre de cette pathologie, c’est pourquoi l’industrie agro-alimentaire propose des produits sans gluten pour ces patients. Ce marché est en progression constante depuis plusieurs années. Les produits sont estampillés « sans gluten » et prennent place aux cotés des produits « bio » ou « diététiques » dans les supermarchés.
Au cours de ces dernières années, une nouvelle entité au sein des troubles liés au gluten, est apparue : l’intolérance non-cœliaque au gluten. Ce syndrome est défini par l’apparition de symptômes après ingestion de produits contenant du gluten, chez des patients dont les diagnostics de maladie cœliaque et d’allergie au blé sont négatifs. Ces symptômes sont très variables d’un individu à l’autre et chez un même individu au cours du temps.
Les mécanismes physiopathologiques de ce trouble ne sont pas élucidés à ce jour et aucun marqueur biologique n’a été identifié jusqu’à aujourd’hui, faisant de l’intolérance non-cœliaque au gluten, une pathologie dont le diagnostic est difficile à effectuer et la prévalence incertaine, son existence, étant elle-même questionnée (diagnostic repose, en effet, uniquement sur l’auto-évaluation des symptômes par le patient et leur amélioration lorsqu’il suit un régime sans gluten).
Plusieurs personnalités revendiquent désormais suivre un régime sans gluten sans être atteintes d’aucun trouble. Art de vivre, amaigrissement mais aussi amélioration des performances sportives sont mises en avant par ces personnalités dont les propos sont relayés par la presse « grand public », dont les articles sont souvent une forme détournée de publicité. Le phénomène de mode du régime sans gluten s’amplifiant dans la population générale et chez les sportifs, il est légitime de se demander si ce régime d’exclusion d’une large catégorie d’aliments est adapté aux individus sains et quelles sont les preuves scientifiques valables d’un quelconque effet sur les performances sportives.
Le gluten la partie protéique de la farine des céréales, substance visqueuse jouant un rôle dans le gonflement de la pâte lors de la fabrication du pain ».

Quatre céréales contiennent du gluten :
• Les blés (céréales du genre Triticum)
• Le seigle (Secale cereale L.)
• Les orges (genre Hordeum)
• Les épeautre (Triticum spelta)

Tous les hybrides de ces céréales contiennent également du gluten, notamment le triticale.

• L’avoine : est normalement dépourvue de gluten, mais très souvent victime de contaminations croisées ; il est préférable, dans le cadre d’un régime sans gluten strict, d’acheter de l’avoine estampillée « sans gluten » par l’AFDIAG.

Coupe d’un grain de blé

Évolution de la consommation de céréales :

Aujourd’hui, les céréales contribuent à 50% des calories dans les pays développés et industrialisés. Cette part devrait légèrement baisser d’ici à 2050 (sorgho, millet). La part du blé va en revanche continuer à augmenter de façon importante. Cet essor s’explique par une tendance vers l’uniformisation mondiale de l’alimentation, l’augmentation des revenus disponibles, l’urbanisation croissante et la place des multinationales alimentaires.

En France, la consommation annuelle de produits issus du blé par habitant en 2019 était d’environ 100 kg, soit 275 g par jour, représentant entre 730 kcal et 850kcal par jour sur les 1800 et 2200 recommandés respectivement pour une femme et un homme de moins de 75 ans, pratiquant une activité physique moyenne. La consommation de blé a historiquement varié avec une large amplitude, puisqu’elle atteignait 265 kg par an et par habitant en 1950 (soit 730 g par jour, représentant entre 1935 kcal et 2500kcal par jour !). La consommation des dernières décennies baisse légèrement, en raison de l’intérêt de la population pour la « diététique » qui demande une diminution de la consommation de « sucres » (baisse de la consommation de pain et diversification des sources d’amidon : riz, quinoa, légumineuses…) et de l’apparition de « fausses croyances » (le pain fait grossir…) véhiculées par la presse.

Caractéristiques physico-chimiques du gluten : Intéressons-nous au blé, le plus riche en gluten :

Le nom « gluten » regroupe en réalité un ensemble de protéines complexes, également appelées prolamines, qui constituent la réserve protéique du grain, alors que les albumines et les globulines sont des protéines qui assurent un rôle de structure. En fonction de la variété de blé, on retrouve 10 à 15% de protéines dans le grain, dont environ 75% de gluten ! Les premiers cultivateurs ont sélectionné les variétés ayant des grains plus gros, plus faciles à séparer de la tige, contenant plus d’amidon, faisant chuter la proportion de protéines. La panification utilisant la fermentation via des levures, a probablement conduit à la sélection de grains un peu plus riches en gluten, qui confère à la pâte la capacité́ de gonfler. Mais, aucune donnée ne démontre l’augmentation de la teneur en gluten du blé ce dernier siècle, d’autant plus que cette teneur varie suivant les conditions environnementales.

Les prolamines sont le résultat de l’assemblage de deux groupes de polymères protéiques, les gliadines divisées en 4 groupes (α, β, γ, ω) et les gluténines que l’on distingue en deux groupes en fonction de leur poids moléculaire. Les gliadines sont riches en acides aminés proline et glutamine et ne sont pas intégralement dégradées dans le système digestif. Les monomères de gliadine s’associent à des polymères de gluténines via des liaisons hydrogènes et des interactions hydrophobes, formant un réseau élastique. Les gliadines sont spécifiques du blé, leurs homologues portent des noms différents suivant la source céréalière dont elles sont issues : on les appelle sécalines dans le seigle, hordéines dans l’orge.

Chaque variété de blé contient environ cent gliadines et gluténines différentes, chacune pouvant avoir une toxicité et une séquence de stimulation propres pour les cellules de l’immunité.
Le gluten confère donc à une farine la propriété d’être panifiable, à condition que sa concentration soit suffisamment élevée : la panification est possible lorsqu’un blé contient 11% de protéines. La structure moléculaire du gluten lui donne une grande élasticité, ce qui permet après ajout de levures et d’eau à la farine d’emprisonner le CO2 et de faire gonfler la pâte. La farine de blé est la plus employée en panification ; on peut également utiliser la farine de seigle, tandis que la farine d’orge est difficilement panifiable.

D’après les données précédemment citées, en considérant que le blé contient 11% de protéines, dont 75% de gluten, on peut estimer que pour un français moyen, la consommation directe de gluten via les produits céréaliers est de 8,25 kg par an, soit environ 22,6 g par jour.

Tous les produits à base de farines de blé, de seigle, d’orge, d’épeautre et d’avoine (non certifiée AFDIAG) contiennent donc du gluten. Outre les produits « évidents » de boulangerie et de pâtisserie, les gâteaux secs salés et sucrés, les pâtes, la semoule, les pizzas, les céréales pour petit-déjeuner, les produits dérivés du malt dont la bière, la chapelure, les hosties et bien d’autres, cela inclue de nombreux autres produits.

En effet, il est possible de séparer le gluten de l’amidon par un processus simple permettant d’obtenir du « gluten vital ». Celui-ci est utilisé comme liant ou exhausteur de goût dans les préparations industrielles alimentaires et pour en améliorer les caractéristiques. Ainsi, toutes les catégories de produits alimentaires transformés sont susceptibles de contenir du gluten. On peut notamment citer : les assaisonnements, les salades, les soupes, les viandes et poissons transformés (ex : jambon, surimi…), le thé et le café aromatisés, les bonbons, les barres chocolatées, certains compléments alimentaires et médicaments. La quantité de gluten vital consommée, en France, par an et par habitant serait de 500g environ.
Il semble que le gluten soit présent partout. De plus, certaines dénominations d’ingrédients dans la composition des produits alimentaires peuvent être confusionnelles et masquer la présence de gluten : « amidon modifié », « malt », « extrait de malt », « antiagglomérants », « germe de blé », « son de blé », « épaississants » (notamment présents dans les produits allégés).

Les troubles liés au gluten

En 2012, un consensus sur la classification et la nomenclature des troubles liés au gluten a été adopté, répertoriant 5 troubles :
L’allergie au gluten
La maladie cœliaque (Entéropathie autosomique récessive, auto-immune, liée à la consommation de gluten et responsable d’atrophie villositaire intestinale. Sans pour autant être une maladie génétique, la présence de gènes de susceptibilité a été mise en évidence chez les malades cœliaques, tels les antigènes d’histocompatibilité HLA-DQ2 et -DQ8. L’environnement (stress, traumatisme, diversification trop précoce ou trop tardive...) est aussi à considérer. On observe un mécanisme auto-immun (anti- trans-glutaminase, anti- endomysium ; anti corps anti gliadine).)
L’ataxie au gluten [(du grec ataxiā, signifiant « désordre ») = une maladie neuromusculaire qui consiste en un manque de coordination fine des mouvements volontaires]
La dermatite herpétiforme

L’ingestion de produits contenant du gluten peut entrainer différents états pathologiques d’intensités variables, débutant et se terminant après des périodes de temps elles aussi très variables.
Ces réactions adverses peuvent être des allergies ou des intolérances.
Les allergies impliquent une réponse immunologique médiée le plus souvent par les immunoglobulines E (IgE) mais pas toujours et nécessitent une exposition préalable à l’allergène.
L’intolérance peut impliquer des mécanismes enzymatiques, métaboliques, physiologiques ou psychologiques.

Différents mécanismes physiopathologiques sont en jeu dans les troubles liés au gluten :
• Mécanismes auto-immuns en ce qui concerne la maladie cœliaque, la dermatite herpétiforme et l’ataxie au gluten
• Mécanismes allergiques en ce qui concerne l’allergie alimentaire, l’asthme du boulanger, l’urticaire de contact et l’anaphylaxie au blé induite par l’effort
• Mécanisme physiopathologique inconnu en ce qui concerne l’Intolérance Non Cœliaque au Gluten – INCG – (on parle de mécanisme idiosyncratique)

Focus sur L’intolérance non cœliaque liée au gluten (INCG) :

Rapportée pour la première fois en 1978, c’est seulement en 2011 qu’une réunion de consensus, soutenue par un institut impliqué dans la commercialisation de produits sans gluten, tente de définir cette entité (www.drschaer-institute.com). Il s’agit de patients ayant des symptômes digestifs et/ou extra-digestifs induits par l’ingestion de gluten qui se résolvent lors de régime sans gluten et chez lesquels une maladie cœliaque et une allergie au blé ont été exclues. Le tableau ci-dessous reprend les différences notables entre ces trois entités :




Similitudes et différences entre la maladie cœliaque, allergie au blé et INGC


Le gluten et les performances sportives

Depuis 2009–2010, le gluten fait polémique : de nombreuses personnalités connues le suppriment de leur alimentation. Concernant les raisons invoquées, rien n’est prouvé
De plus en plus de sportifs modifient leur alimentation et suppriment le gluten pour améliorer leurs performances. Qui sont-ils et est-ce que ça marche ?
De nombreux articles de presse traitent du gluten ; les sources d’informations manquent, le plus souvent, mais on y reconnait la mise en avant de produits sans gluten. Les articles nomment des stars comme Lady Gaga ou Victoria Beckham qui suivent un régime sans gluten pour éliminer les kilos superflus, et prennent l’exemple de Novak Djokovic, qui suit ce régime depuis 2011 alors qu’il se plaignait de violentes migraines et de fatigue (sachant que d’autres articles relatent de la fatigue et des troubles respiratoires !). Depuis, pléthore de communications commentent les performances qui ont suivi du tennisman et qui, bien que manifeste, ne peuvent être scientifiquement attribuées à ce régime sans gluten. Toutefois, ces performances ont donné des idées à d’autres, notamment Jo- Wilfried Tsong, qui, à priori avec l’arrêt du gluten, a réussi en 2012, à se hisser en demi-finale de Wimbledon pour la première fois de sa carrière !
Donc, parmi les 4 meilleurs joueurs de tennis du monde, 2 suivent un régime alimentaire sans gluten : Novak Djokovic et Andy Murray. Et c’est aussi le cas de Sabine Lisicki, une joueuse de Tennis Allemande. Mais ils sont loin d’être des cas isolés. Des équipes cyclistes pro comme Cannondale-Garmin, proposent un régime sans gluten à leurs membres. Et dans les sports d’endurance, ce régime d’exclusion se répand à toute allure. Pourtant, aucun de ces sportifs de haut niveau n’est intolérant au gluten…

➢ Le gluten perturbe la digestion ?

Le gluten a la consistance d’une pâte épaisse. Mais notre tube digestif ne dispose pas des enzymes nécessaires pour digérer complètement le gluten, tant et si bien que pour essayer de digérer les derniers morceaux de protéines, l’estomac va produire des acides de manière exagérée ce qui se manifestera par des lenteurs digestives ou du reflux gastro-œsophagien.
Au niveau de l’intestin le gluten peut éventuellement agir comme une colle et ralentir les mouvements normaux de cet organe : cela se manifeste alors par des ballonnements, de la constipation ou des diarrhées, même en l’absence d’intolérance au gluten. Ce sont ces problèmes qui ont poussé de nombreux sportifs professionnels à supprimer le gluten de leur alimentation : Timmy Curran (surfeur professionnel), Amy Yoder Begley (coureur olympique), Timothy O’Donnell (triathlète) ou Tom Kostopoulos (hockey).

Les troubles gastro-intestinaux sont très répandus chez les sportifs d’endurance (jusqu’à 50% se plaignent). Devant l’amélioration des symptômes des patients cœliaque ou intolérance non cœliaque sous régime sans gluten, de plus en plus d’athlètes sont tentés.
Une équipe de chercheur australienne a réalisé une vaste étude (910 personnes – 528 femmes et 377 hommes) dont l’objectif était d’évaluer le niveau d’adhésion à un régime sans gluten des sportifs (Lis, D. M., Stellingwerff, T., Shing, C. M., Ahuja, K. D., & Fell, J. W. (2015). Exploring the popularity, experiences, and beliefs surrounding gluten-free diets in nonceliac athletes. Int. J. Sport Nutr. Exerc. Metab, 25, 37-45). Les personnes de moins de 18 ans et les malades diagnostiqués cliniquement cœliaque ont été exclus. Le niveau de pratique sportive était très variable (de la pratique occasionnelle au très haut niveau, avec 18 médaillés en compétition mondiale ou olympique).

• 60% des participants pratiquaient un sport d’endurance
• 41,2% déclaraient suivre un régime sans gluten plus de 50% du temps (RSG>50)
o dont la moitié suivaient ce régime plus de 90% du temps
o dont 70% pratiquaient un sport d’endurance
o dont 30% avaient une pratique d’endurance occasionnelle

(Remarque : la catégorie des sportifs la plus représentée du point de vue d’un suivi de régime sans gluten n’est donc pas la plus susceptible d’être encadrée par des professionnels de la nutrition pour mettre en œuvre ce régime et le contrôler)

Toujours parmi les personnes déclarant suivre un régime sans gluten plus de 50% du temps, les sources d’informations sur ce régime étaient les suivantes :


Dans ce groupe de patients, la source d’information principale des sportifs pratiquant occasionnellement des compétitions est l’entraineur (est-il formé à la médecine ? à la nutrition ? ...), alors qu’un tiers des médaillés olympiques tire ses informations de patients cœliaques ! Les raisons pour lesquelles ces sportifs ont décidé de suivre un régime sans gluten sont les suivantes :


Petit rappel : l’auto-diagnostic est dangereux pour la santé. Lorsque l’on ressent des symptômes digestifs, on consulte un médecin, un gastro-entérologue de préférence, qui procèdera aux analyses cliniques adéquates. Le diététicien-nutritionniste sera vu après le diagnostic pour mettre en place et contrôler le régime prescrit par le médecin.

Chez ces sportifs, 80% ont ressenti une amélioration des symptômes de ballonnement, gaz, diarrhée et fatigue en excluant le gluten. Toutefois, en comparant les groupes RSG>50 et RSG<50, les chercheurs ont pu remarquer que les fréquences de survenue de symptômes gastro-intestinaux sont significativement équivalentes.

Les différences majeures entre ces deux groupes résident au niveau de leur ressenti et des croyances qu’ils ont dans l’effet du régime qu’ils suivent : 77,9% du groupe RSG>50 pense que suivre un régime sans gluten permet d’être plus attentif à la composition de l’ensemble du régime alimentaire, contre 58,5% dans le groupe RSG<50. En revanche, une proportion significativement plus importante du groupe RSG<50 pense que suivre un régime sans gluten permet de consommer moins de produits transformés en comparaison avec l’autre groupe. Les deux groupes s’accordent, à 60% de l’effectif, sur le fait que suivre un régime sans gluten permet d’augmenter la consommation de fruits et de légumes. Il en est de même pour l’idée que cela permet de manger plus équilibré (30% de l’effectif des deux groupes)

Près de 20% de l’effectif total de cette étude suit un régime sans gluten plus de 90% du temps, montrant l’intérêt plus fort des sportifs, notamment ceux qui pratiquent l’endurance. Ce pourcentage est nettement plus important que celui de la population qui aurait un intérêt médical à le pratiquer ! Une grande partie de sportifs s’auto-diagnostiquent atteints d’une INCG, sans exploration clinique et leurs sources d’informations sont le plus souvent non médicales, ne provenant pas de la littérature scientifique reconnue. Il s’agit là de diagnostics fantaisistes puisque révélés, le plus souvent, par d’autres sportifs adeptes et non par des professionnels de la santé et de la nutrition.
Un grand nombre de ces sportifs recherchent l’amélioration de symptômes identifiés comme identiques à ceux de la maladie cœliaque et à l’INCG et qui seraient améliorés par l’exclusion du gluten. Il est vrai que l’on observe une fréquence accrue de troubles gastro-intestinaux chez les sportifs d’endurance. Comme je l’ai déjà évoqué dans de précédents articles, une explication tient au fait que l’exercice physique augmente la perméabilité intestinale par diminution de la perfusion viscérale. Par ailleurs, la majoration par les sportifs de la prise d’hydrates de carbone en tant que source d’énergie, explique les symptômes : une partie de ces hydrates de carbones peut ne pas être digérée, des polysaccharides non digérés peuvent alors se retrouver en quantité dans l’intestin où ils sont susceptibles d’être fermentés par les bactéries de la flore, donnant des troubles gastro-intestinaux.

Sérieusement, avons-nous réellement besoin de nous infliger un régime d’exclusion comme le sans gluten pour admettre que nous devons, quotidiennement manger équilibré et suivre les conseils avisés du PNNS ?

➢ Le gluten engendre un état inflammatoire chronique ?

Quelques études suggèrent que les blés modernes engendreraient un état inflammatoire chronique (Cf. Gluten – Comment le blé moderne nous intoxique de Julien Venesson – Thierry Souccar Éditions - 2013). Une étude menée sur des rats a mis en évidence que le gluten augmente le niveau d’état inflammatoire chronique ; ces « scientifiques » ont donc extrapolé et rapidement conclu que le gluten prédisposerait les athlètes aux blessures articulaires ou tendineuses. On ne saurait donc accorder de crédit sur cette affirmation concernant l’état inflammatoire chronique !

➢ Le gluten affecte les performances ?

Les chercheurs ont en effet mis en évidence que le gluten activait les récepteurs des proliférateurs de peroxysomes (PPAR gamma), des récepteurs qui modulent l’activité de gènes qui contrôlent le métabolisme du glucose et des acides gras, diminuant la sensibilité à l’insuline et favorisant le stockage du glucose sous forme de graisses corporelles. Comme d’autres, Novak Djokovic va voir ses performances physiques s’envoler avec un régime sans gluten : son meilleur métabolisme énergétique lui permet de mieux utiliser les aliments pour fournir de l’énergie. Ainsi, lors de l’open d’Australie en 2012 il remporte face à Nadal la plus longue finale de l’histoire du Grand Chelem (5h53).
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, un régime sans gluten ne diminue donc pas les performances et certains pensent qu’il pourrait même les améliorer. Le Dr Jean-Jacques Menuet, qui suit l’équipe cycliste Sojasun rapporte que lors du dernier Tour de France, il a mis 3 des 9 membres de l’équipe à un régime sans gluten, avec des résultats, écrit-il, réellement satisfaisants. Ci-dessous, un extrait de son article « INTERET D’UNE ALIMENTATION SANS GLUTEN CHEZ LE SPORTIF, le régime sans gluten dans le sport », du 5 septembre 2013.

« Effet de mode ou réalité ?
Mon expérience de terrain depuis plus de vingt années dans tous les sports (athlé, boxe, foot, tennis, cyclisme) et l’expérience de « mes » sportifs m’amènent à considérer qu’une alimentation pauvre en gluten augmente les moyens de défenses immunitaires, aide à lutter contre les allergies, et surtout optimise la digestion : moins de ballonnements, digestion plus rapide, moins de soucis digestifs pendant l’effort. Je constate vraiment ces effets sur le terrain, également plus de vitalité, moins de fatigue, moins de migraines et maux de tête ; par exemple sur le Tour de France 2012 3 des 9 coureurs de « mon » équipe avaient suivi une alimentation pauvre en gluten ; bien sûr ils n’ont pas fait 1-2-3 du Tour (malheureusement…), mais ils ont réellement noté des résultats satisfaisants sur leur état de forme. Comme si semblait exister une « sensibilité » au gluten (le gluten est de plus en plus présent dans notre alimentation), sans vraiment parler d’intolérance au gluten. Ceci surtout chez le sportif qui met à mal son tube digestif pendant l’effort. En effet le Gluten (qui vient du blé) est digéré dans l’intestin grêle (= la partie initiale du colon, juste après l’estomac). »

L’aspect scientifique de ces allégations me semble assez douteux !

Revenons donc à notre étude australienne (Lis, D. M., Stellingwerff, T., Shing, C. M., Ahuja, K. D., & Fell, J. W. (2015). Exploring the popularity, experiences, and beliefs surrounding gluten-free diets in nonceliac athletes. Int. J. Sport Nutr. Exerc. Metab, 25, 37-45). Elle rapporte qu’au niveau des effets physiologiques attribués au régime sans gluten, les différences entre les deux groupes (RSG>50 et RSG<50) sont encore plus marquées :
• Le groupe RSG>50, 56,3% de l’effectif pense que le sans gluten améliore les performances sportives contre 23,9% dans le groupe RSG<50
• 74,4% des RSG>50 contre 43,2% des RSG<50 pense que le sans gluten améliore la composition du corps pour faire de l’exercice physique

Un fait très intéressant : la croyance que le régime sans gluten ne peut être bénéfique que chez les patients atteints d’INCG ou de maladie cœliaque n’est partagée que par 1% de l’effectif total. Les convictions/ croyances des effets bénéfiques d’un régime sans gluten dans les groupes RSG>50 et RSG<50 sont récapitulées dans le graphique suivant :



Cette étude ne montre pas de différence dans la fréquence des symptômes entre les plus assidus au régime sans gluten et les autres sportifs. Les premiers ont cependant des fortes convictions quant aux effets bénéfiques de l’exclusion du gluten sur leurs symptômes et leurs performances. Bien que les croyances puissent en elles-mêmes améliorer les performances d’un athlète (entre 1 et 3% selon certains auteurs) par un effet placébo, aucune évidence basée sur des preuves n’existe à ce sujet. On pourrait avancer ici que cet effet sur l’amélioration des symptômes se projette sur la perception des performances : puisque le sportif ressent un bien-être accru au niveau gastro-intestinal et de sa fatigue, il se sent plus performant.
La majorité des sportifs reconnaît de plus que le suivi d’un régime sans gluten engendre une attention plus importante à la qualité et l’équilibre de leur alimentation. Il ne se contentent donc pas de supprimer le gluten de leur alimentation mais en modifient plusieurs aspects comme une augmentation de la consommation de fruits et légumes, les bénéfices ressentis sont donc possiblement imputables à ces modifications plutôt qu’à l’éviction du gluten.

➢ Le sans gluten dans les maladies auto-immunes du sportif

Excellent milieu de terrain de l’AS Saint-Étienne, le footballeur argentin Alejandro Alonso a récemment été contraint d’arrêter sa carrière en raison d’une maladie incurable, la spondylarthrite ankylosante. La spondylarthrite est un rhumatisme inflammatoire chronique qui touche surtout la colonne vertébrale (lombaires) et les articulations du bassin. Cette maladie évolue par crises très douloureuses. Avec le temps, elle cause une ankylose vertébrale. Cette maladie a aussi contraint la joueuse de tennis Tatiana Golovin à mettre un terme à sa carrière en 2009. Le gluten semble impliqué dans cette maladie, comme dans d’autres (polyarthrite rhumatoïde). Aujourd’hui de plus en plus de malades rapportent une amélioration importante de leur état de santé avec l’aide d’un régime sans gluten.

La fibromyalgie partage certains symptômes avec l’intolérance au gluten. Une étude de cas – Isasi C, Colmenero I, Casco F, et al. Fibromyalgia and non-celiac gluten sensitivity : A description with remission of fibromyalgia, Rheumatol Int 2014; 34/1607-12. – décrit une amélioration Clinique chez vingt patients atteints de fibromyalgie après l’introduction d’un régime sans gluten sur une période de suivi de 16 mois. Toutefois, aucune étude randomisée contrôlée n’a montré le bénéfice d’un tel régime dans cette situation.
Concernant la polyarthrite rhumatoïde, des modifications de régime sont communément pratiquées par les patients malgré l’absence d’évidence à ce sujet. Une étude randomisée – Hafström I, Ringertz B, Spangberg A et al. A vegan diet free of gluten improves the signs and symptoms of rheumatoid arthritis : the effects on arthritis correlate with a reduction in antibodies to food antigens. Rheumatology (Oxford) 2001; 40/1175-9 – sélectionnant des patients avec une polyarthrite rhumatoïde active mis sous régime végétalien sans gluten, a montré des signes d’amélioration clinique chez 40,5% des malades contre 4% chez ceux qui avaient suivi un régime normal équilibré. Cependant, il n’existe pas, à ma connaissance d’étude impliquant seulement une alimentation sans gluten.

➢ Les risques d’un régime sans gluten :

Tout régime d’exclusion entraine obligatoirement des carences donnant lieu à des conséquences directes à moyen ou long terme. L’équilibre nutritionnel quotidien doit être assuré par des aliments de mêmes qualités nutritionnelles. Cette substitution n’est pas chose aisée.

Les données sur les qualités nutritionnelles des produits industriels sans gluten sont limitées. Une étude espagnole publiée dans le « Journal of the science of food and agriculture » a analysé 206 produits sans gluten et les a comparés à leurs produits équivalents contenant du gluten. Voici quelques-uns des résultats :
• La teneur en matières grasse des produits sans gluten des catégories pains, pâtes, pizzas et pâtisseries est jusqu’à deux fois plus supérieure à celle de leurs homologues avec gluten. (Cela concerne surtout les acides gras saturés).
Pourquoi ce surplus de matières grasses dans les produits sans gluten : le gras remplace le rôle du gluten dans le pétrissage ; il sert aussi de lubrifiant et d’agent texturant.
• Les teneurs en fibres, fer, vitamines B1, B2, B3 et B9 sont plus faibles dans les produits sans gluten.
En effet, les farines de riz et de maïs utilisées sont moins pourvues en vitamine B9 que la farine de blé. Par ailleurs, l’absorption d’une moindre quantité de fibres diminue le sentiment de satiété et peut encourager à consommer des portions plus importantes.
• Il semble que la teneur en sodium soit plus élevée dans les produits sans gluten ; en effet, outre son rôle d’exhausteur de goût, ce minéral a la capacité à stabiliser la structure d’une pâte.

Une étude australienne publiée en 2013 – Wu, J. H., Neal, B., Trevena, H., Crino, M., Stuart-Smith, W., Faulkner-Hogg, K., ... & Dunford, E. (2015). Are gluten-free foods healthier than non-gluten-free foods? An evaluation of supermarket products in Australia. British Journal of Nutrition, 114(03), 448-454 – constate une teneur en protéines souvent plus faible dans les produits manufacturés sans gluten. En effet, les protéines du blé sont généralement substituées par de l’amidon de maïs ou de riz. Ce point met par ailleurs en évidence le fait que les produits sans gluten ont souvent un important index glycémique.
Nous pouvons donc conclure que les produits sans gluten (produits transformés) n’ont pas tous les qualités nutritionnelles des produits qui n’en contiennent pas.

Au-delà̀ du déséquilibre nutritionnel, certains auteurs avancent que le risque infectieux pourrait augmenter lorsque l’on suit un régime sans gluten : ils ont, en effet, constaté que la réduction d’apports en polysaccharides, si elle n’est pas compensée, peut conduire à une modification du microbiote intestinal, qui s’en nourrit dans la partie distale du côlon au niveau de laquelle une partie de ces sucres n’est toujours pas bien digérée. On assiste alors à une rupture d’équilibre entre l’hôte et sa flore (= dysbiose). Les populations intestinales de bactéries du genre Bifidobacterium et Lactobacillus pourraient ainsi décroître, au profit d’une prolifération opportuniste des Escherichia Coli et entérobactéries., avec un risque infectieux et inflammatoire plus important via une possible altération de la muqueuse. (Cf. Rostami, K., & Rostami-Nejad, M. (2015). Book review: Advances in the understanding of gluten related pathology and the evolution of gluten-free foods; Edited by: Eduardo Arranz, Fernando Fernández Bañares, Cristina M. Rosell, Luis Rodrigo, Amado Salvador Peña. Gastroenterology and Hepatology from bed to bench, 8(4), 311.).

Par ailleurs, certains auteurs avancent que la consommation de maïs en substitution du blé augmente statistiquement les risques d’exposition à des mycotoxines, potentiellement cancérogènes, les grains de maïs étant plus souvent contaminés que les grains de blé (Cf. Pellegrini, N., & Agostoni, C. (2015). Nutritional aspects of gluten‐free products. Journal of the Science of Food and Agriculture, 95(12), 2380-2385).

Pour finir, il existe un risque d’ordre psychiatrique, rencontré dans plusieurs types de régime d’exclusion, qui est la prise d’une tournure obsessionnelle de la recherche de l’élément à éviter, qui peut avoir un impact sur la santé mentale (notion d’orthorexie et de trouble du comportement alimentaire) et sur l’observance du régime. Nous développerons ce point dans le cadre d’un prochain article.

L’exercice physique nécessite des apports plus importants en sucres lents, stockés dans les muscles sous forme de glycogène et restitués au moment de l’effort. Les céréales, qui contiennent beaucoup de sucres lents sont donc très consommées par les sportifs et la suppression d’une partie d’entre elles du régime alimentaire devra être d’autant plus compensée. Nous avons vu précédemment que suivre un régime sans gluten expose à des risques de carences et de déséquilibres. Il paraît donc contradictoire à la vue des données d’expérimentation existantes que des personnes chez qui la mise en place d’un régime restrictif contraignant, potentiellement coûteux, difficilement accepté par des patients pour qui il est obligatoire et exposant à des risques, rencontre un tel succès. Convaincus des bénéfices du régime sans gluten, une population de sportifs préfère s’imposer un régime contraignant sans en faire attester la nécessité par des professionnels de santé et sans suivi par un(e) diététicien(ne) – nutritionniste D.E. De plus, il est nécessaire de rappeler que pour de bons diagnostics de maladie cœliaque et d’INCG, il est bien mieux de ne pas commencer de régime sans gluten avant les investigations cliniques.

➢ Pour conclure :

Le marché des produits « sans gluten » est florissant. En France, en plus des marques spécialisées, dont le nombre a été multiplié par huit depuis 2009 selon l’AFDIAG.
La marque « Gerblé » qui a fait de Novak Djokovic, l’ambassadeur de sa gamme de produits sans gluten, qui compte plus de 50 références, connaît une croissance de 30 à 47% par an dans ce secteur.

Le régime sans gluten est un sujet brulant depuis quelques années. Célébrités, athlètes professionnels et adeptes des derniers régimes à la mode l’ont adopté pour gagner en performance, perdre du poids ou pour leur bien-être. Il est devenu difficile de distinguer les faits des rumeurs. Cependant, jusqu’à présent, aucun essai clinique contrôlé et aléatoire n’a été mené pour prouver ce lien en dehors de l’allergie au blé et la maladie cœliaque. L’engouement pour ce régime peut être du à une hausse du nombre de cas diagnostiqués, à une consommation excessive de blé, ou à la composition des bactéries dans notre intestin (qui peut être un élément déclencheur). L’hypersensibilité au gluten (non cœliaque) en est une autre indication, bien que son existence reste encore controversée.

Article écrit par :
Caroline JOUCLA • Nutritionniste-diététicienne Diplômée d’Etat • www.carolinejoucladieteticienne.com