Partir en itinérance
Lors d’un précèdent article , nous avons évoqué la possibilité d’élargir un peu nos possibles et de se lancer sur des sorties « longues » à la journée, en exploitant les ressources « modernes » mises à notre disposition. Cet été, pourquoi ne pas pousser un peu plus loin le curseur et ne pas envisager carrément de partir en itinérance, sur plusieurs jours d’affilée, avec un sac à dos léger, accompagné de quelques solides compagnons de route ? Voici quelques conseils pour bien réussir vos virées estivales.
L’itinérance, c’est un mode de vie à part entière pour certaines civilisations mais pour nous, humbles traileurs, c’est l’occasion fabuleuse de traverser une île, de faire le tour d’un sommet mythique ou de sillonner un parc Naturel en quelques jours. Avec un sac à dos léger, des chaussures adaptées et un bon GPS, on est tout à fait capable d’agrandir les espaces et de réduire le temps. Mais rien de s’improvise. Voici nos conseils pour profiter de l’expérience.
1 - Le choix de son itinérance
Ici « 2 salles, 2 ambiances » : vous avez le choix de partir d’un côté sur les parcours « officiels » des ultra trail et d’un autre sur des itinéraires de randonnée « classique ».
1 - 1 - reconnaître un parcours de course
Certains coureurs préfèrent se laisser surprendre par le parcours de leur ultra le jour J alors que d’autres étudient minutieusement le profil sur les cartes. Une 3e solution, c’est d’aller sur le terrain et de vivre tous les km du chemin pour en repérer les spécificités.
Les études montrent qu’un finisher d’ultra, c’est souvent un coureur qui a su planifier au maximum sa course en amont pour anticiper au maximum tous les scénarii pendant l’événement. Alors reconnaître le parcours de son ultra, c’est, à mes yeux, un atout indéniable : c’est l’occasion de prendre des notes sur les temps mis pour parcourir chacune des portions, de repérer les plus grosses difficultés, les positionnements des ravitos, le matériel à utiliser ou pas. Cela vous permettra de construire un prévisionnel de course assez fiable et vous ne vous laisserez pas surprendre et démoraliser pendant la course pour un col infranchissable, un ravito qui n’arrive jamais ou un passage particulièrement peu intéressant.
Ces quelques jours de repérage vont un constituer un bloc d’entraînement très intéressant en terme de travail technique spécifique et d’adaptations physiologiques et métaboliques indispensables dans l’ultra. Cette charge importante va provoquer des déséquilibres à tous les niveaux et donc normalement en contrepartie, vous allez obtenir une réadaptation des systèmes à un niveau supérieur à celui initial.
Mais attention à la place de ce gros bloc d’entraînement dans votre préparation : au moins un mois, 3 semaines dernier carat avant l’échéance suivant vos habitudes.
Dans tous les cas, il vous faudra à la fois bien récupérer et « digérer » cette surcharge. Attention à ne pas vous tromper d’objectif : la reconnaissance n’est qu’une étape dans la construction de la performance ! c’est bien de prendre quelques jours de récupération plus ou moins active derrière le stage mais si vous coupez complètement tout effort en passant les semaines suivantes dans votre canapé, vous ne tirerez aucun bénéfice de ce gros effort.
Dans votre préparation qui doit être progressive, il peut être intéressant de commencer par un premier bloc de deux grosses journées d’affilée par exemple et puis si tout a été bien supporté, d’augmenter les doses et de reprogrammer un peu plus tard la reconnaissance intégrale du parcours.
La réussite d’un ultra se programme aussi sur plusieurs années. Comme cette saison est très compromise, c’est le bon moment pour vous lancer sur les terrains, se sera votre défi, votre off perso. C’est le moment de se tester !
Reconnaître un ultra sans dossard, c’est aussi le plaisir d’apprécier tout le parcours de jour, de prendre le temps de lever la tête, de s’arrêter faire des photos, de boire une boisson fraîche dans un refuge d’altitude ou de tester pourquoi pas les micro siestes. De nuit, la tête dans le guidon, les chemins n’ont pas le même charme !
1- 2 - Réinventer la randonnée
L’autre solution pour avaler du kilomètre et du dénivelé et en prendre plein les mirettes, c’est partir sur des parcours de rando classique type le mythique GR20 en Corse, la Grande Traversée du Mercantour, le chemin de Stevenson, la traversée des Pyrénées sur le GR10 (mais là, ça commence à faire beaucoup !)… mais en doublant, triplant (voire plus) les étapes par rapport aux topos classiques… Au lieu de mettre 15 jours pour traverser la Corse, vous pouvez n’en mettre que 5 ou 6… Ces parcours ne sont pas forcément des supports de compétition mais les parcourir « léger » vous apportera satisfaction à tous les niveaux.
C’est parfait pour améliorer sa condition physique : à part le côté non spécifique du parcours, ces longues journées de rando courses auront les mêmes impacts physiologiques et métaboliques qu’une reco de course. Que vous trottiez 10 h entre Courmayeur et Champex ou entre Verghju et Vizzavona, ça aura à peu près les mêmes effets sur vos différentes cellules.
Et puis, c’est vraiment l’occasion de découvrir de nouveaux territoires magnifiques, de couper la routine, de changer nos terrains de jeu.
2 - Concrétiser son projet
2-1 : Les stages clé en main
L’offre des stages de trail, clés en main, encadrés par un accompagnateur moyenne montagne et peut-être aussi par un de vos champions s’est fortement développée ces dernières années. C’est certainement la bonne solution pour vous lancer, surtout si vous débutez dans l’ultra, si vous n’avez pas trouvé de sparring partner… Vous partez avec votre sac à la journée, sans vous soucier de la logistique. Vous ne pensez qu’à avaler les km ce qui est déjà un beau challenge en soi…
Ces stages sont très formateurs, on peut y faire de super rencontres, mais on ne choisit pas forcément tous ses compagnons de route !!
2-2 : Les séjours auto organisés
Vous y gagnerez plus de liberté, de flexibilité, le choix de vos compagnons de route, mais une bonne dose d’organisation et d’anticipation est indispensable pour mener à bien votre projet.
2-2-1 : Bien évaluer les étapes
Dans les 2 cas, en reconnaissance ultra ou en parcours rando, il va être impératif de bien évaluer les étapes et de portionner idéalement le parcours.
L’itinérance impose d’arriver à l’hébergement prévu le soir (plus ou moins tard…) : il faut tracer sa route du jour, et rares sont les possibilités d’échappatoires, de stop, de bus pour la raccourcir ! Alors attention à la définition des étapes en fonction de votre niveau, de votre objectif… 4 jours pour l’utbm, 5 jours pour le GR20, 5 jours pour le Mercantour… ça reste jouable… Raccourcir au minimum le nombre d’étapes pourquoi pas, mais cette solution vous imposera certainement des départs à la frontale et des arrivées à la tombée de la nuit… à vous de voir si vous voulez profiter un peu des paysages, des étapes, des refuges… ou s’y vous voulez être dépendant du chrono.
Pour calculer le bon découpage, c’est comme dans l’article précédent : estimez votre temps d’effort, en prenant en compte, la distance, le dénivelé et la technicité des chemins. Les sites, les blogs donnent beaucoup d’informations. En rando-course, généralement on peut diviser presque par deux les temps d’effort estimés pour une randonnée « classique ». Ne pas dépasser 10h d’effort si on veut profiter un peu.
Téléchargez les traces sur vos montres et téléphones mais attention, il n’est pas forcément toujours possible de recharger les appareils dans les refuges. Pensez à emporter une batterie externe et économisez au maximum vos batteries (oubliez un peu votre cardio par exemple ! et le téléphone en mode avion c’est pas mal dans la journée !).
Réservez bien à l’avance vos nuitées en refuge ou en gîte. Un bon repas roboratif et une douche chaude : ce sont des petits « luxes » bien agréables qui vous permettront de récupérer et de repartir en forme le lendemain. Partir avec tente, réchaud et kilos de pâtes, c’est encore une autre problématique.
Pensez également aux moyens de transport : si vous faites une boucle, pas de problème c’est facile mais en revanche si vous êtes sur une traversée, c’est moins évident ! souvent les sites de randonnées et les blogs spécialisés sont des mines d’informations pour trouver le bon horaire de bus ou de taxi qui vous mènera au départ de l’aventure.
2-2-2 : Le sac, élément indispensable
Je vous conseille minutie et rigueur lors de la préparation de votre sac.
Objectif : l’alléger ! Si l’on veut avancer plus vite que le randonneur, oubliez les gros sacs de rando à plus de 15 kg. Un sac allégé (autour de 5-6 kg max) c’est moins d’effort à fournir, moins de traumatismes pour les articulations, plus de stabilité sur les passages un peu délicats… mais alléger son sac ne veut pas dire rogner sur la sécurité, surtout pas !
Il paraît qu’un « sac lourd est un sac bourré d’angoisse »… D’angoisse d’avoir faim, froid, soif, mal… C’est sûr mais en réfléchissant bien, en pesant tout au sens propre comme au figuré, on peut parvenir à optimiser le poids du sac sans compromettre sa sécurité. Evidemment plus on se connaît et plus on connaît le terrain et le matériel, plus on va pouvoir alléger ses craintes et donc son sac !
Voici un exemple de sac pour une itinérance de 3-4 nuits :
- Pour la sécurité et les petits soins : une couverture de survie, un sifflet, des cartes (qui peuvent se télécharger sur un smart phone), un téléphone, une batterie externe, une mini-frontale, une mini trousse pharmacie : un petit pot de crème anti-frottement, de quoi faire un strap de cheville, du paracétamol, un anti-diarhée, des micro pure pour assainir l’eau, des pansements pour les ampoules.
- Pour l’habillement : short, tee-shirt, 2 paires de chaussettes, 2 jeux de sous-vêtement, gant, bonnet, manchettes, buff, casquette, lunettes de soleil, une veste étanche, un bas de pantalon étanche.
- Pour le soir et la nuit : un drap de soie, une micro doudoune (le luxe !) et des sous-vêtements thermiques (collant et T-shirt à manches longues), une paire de tongues ultra light (confort)
- Pour l’hygiène : un bout de savon de Marseille permettant aussi de faire de la lessive (on lave le soir, on remet ses vêtements humides le matin et on fait sécher sur le sac les chaussettes et sous vêtements, pensez à prendre quelques épingles à nourrice !), des échantillons de gel douche et de shampooing, un mini dentifrice et mini brosse à dent, une serviette micro-fibre, un petit tube de crème solaire.
- Pour la randonnée : des bâtons pliants, une poche à eau, une flasque, du ravito sucré et salé. En étudiant le tracé du parcours, vous pourrez évaluer vos besoins, pas la peine de partir avec 5 jours de barres énergétiques si vous traversez un village tous les jours. Faire une pause salée en milieu de journée me semble important aussi : du pain, un bout de fromage, une tranche de jambon et ça repart très bien pour finir l’étape ! Le célèbre fromage enrobé dans une coque rouge et la viande séchée se conservent très bien plusieurs jours au fond du sac. Vous passerez aussi certainement à côté de bergeries ou autres boutiques locales, déguster les spécialités du pays fait partie de l’aventure !
- Pensez à prendre de l’argent liquide (la CB n’est pas forcément acceptée dans les refuges), carte d’identité et carte vitale (au sec dans une pochette étanche).
- C’est bien de plier consciencieusement toutes ses affaires et de les ranger par thème dans des sacs étanches (type congélation). Elles seront protégées et votre sac bien organisé.
Cet été, c’est peut-être le bon moment pour vous lancer, loin des contraintes d’une préparation très planifiée, d’un entraînement au cordeau… Laissez-vous gagner par les plaisirs de l’ultra endurance et levez les yeux de votre chrono et de vos chaussures !
Article par Maria SEMERJIAN Professeure agrégée EPS et Ultra traileuse élite